La dentelle, d'abord appelée "passementerie", apparaît au XVIIe siècle, à Chantilly et dans sa région où elle est produite par plusieurs mains de femmes (femmes de carrier, de paysans ou de commerçants) et commercialisée dans toute la France par de riches hommes d'affaires. Inspirée par les dentelles de Flandre et de Venise – et promue par Anne de Bavière, son époux le prince de Condé et Colbert (ministre de Louis XIV) – la région cantilienne produit de plus en plus de dentelle aux fuseaux, avec une qualité irréprochable. En 1694, il existe même à Chantilly la première école de dentelle dans laquelle "22 apprenties dentellières" apprennent les techniques de ce savoir-faire fastidieux. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, la dentelle, symbole de richesse et de noblesse, est pendant longtemps l'apanage des hommes : en effet, on retrouve cette précieuse parure sur leurs hauts de chausses, leurs chemises à jabots ou aux bords de leurs manches. Alors que cet artisanat est en pleine ébullition, les manufactures (à noter qu'à l'époque, le mot "manufacture" ne faisait pas référence aux usines, mais évoquait les jeunes femmes qui confectionnaient, à la main, de la dentelle aux fuseaux et qui ensemble, formaient un véritable "réseau de petites mains") réalisent toutes sortes de dentelles, dont la Blonde, également fabriquée à Caen ou à Bayeux : "il s'agit d'une dentelle réalisée avec des fils de soie non teints donc écrus, d'où cet aspect légèrement doré", précise Sarah Gillois, responsable du Musée de la dentelle de Chantilly.
La Chantilly, une dentelle qui dénote
Ce n'est qu'au début du XIXe siècle qu'apparaît la Chantilly, une dentelle extrêmement fine, de couleur noire et aux motifs floraux (sont réalisés des corbeilles et des guirlandes de fleurs, des tulipes, des roses, des marguerites, des branches, des grappes…) soulignés par des cordonnets (des fils plus épais qui entourent le motif et lui apportent du relief). Cette dentelle noire sur fond de tulle contraste avec les dentelles traditionnellement blanches produites en France. Par ailleurs, peu à peu, les hommes délaissent cet ornement délicat et raffiné et la laissent aux femmes qui adorent la porter en châles, sur leurs robes, en éventail, en carré ou en fanchon (bonnet de femme tout en dentelle). Cette dentelle est donc noire et fait écho aux dentelles portées par les femmes espagnoles, mais elle est absolument délicate et moderne. Et surtout, elle remporte un franc succès sous le Second Empire auprès de l'Impératrice Eugénie de Montijo, la femme de Napoléon III. Si bien qu'en 1825, la production de "Chantilly" est l'une des principales activités économiques de la ville (avec la confection de porcelaine) : "cet artisanat constitue un revenu d'appoint pour les ménages, fait vivre des centaines de familles isariennes et emploie plus de 1 000 femmes de la région", ajoute Sarah Gillois. Mais pas que ! La dentelle n'est pas une activité seulement réservée aux femmes, puisque la chaîne de fabrication de la dentelle à la main emploie beaucoup d'hommes, comme les dessinateurs, les cartonniers, les piqueurs ou encore les marchands.
Du savoir-faire ancestral à la création contemporaine…
La dentelle de Chantilly, simplement nommée "Chantilly", est exportée dans toute l'Europe et parsème ombrelles, robes et autres parures de la toilette féminine. Si bien que d'autres villes, comme Bayeux, souhaitent également en produire. Toutefois, la seconde moitié du XIXe siècle marque la fin progressive de la dentelle réalisée manuellement : "les métiers mécaniques prennent le dessus sur la technique manuelle et conduit à la quasi disparition des dentellières cantiliennes", raconte la responsable du musée, ravie de pouvoir présenter, au Musée de Chantilly, des pièces en Chantilly confectionnées à la main (dont un modèle de cape très rare), des dessins préparatoires et des "carreaux" à dentelles de l'époque.
La Chantilly est toujours produite, mais mécaniquement et dans le Nord de la France. Très vite, elle se modernise, se pare de motifs géométriques ou de médaillons, est ombrée (les aplats de fils de soie sont plus ou moins opaques, créant différentes nuances de gris), ou encore teinte de différentes couleurs… À la seconde moitié du XXe siècle, les créateurs de mode l'utilisent, la détournent, la subliment et la réinterprètent dans leurs collections Haute-Couture, de prêt-à-porter ou de robes de mariée. Elle se veut rétro sur des modèles de robes "new look" des années 60, chic et sophistiquée chez Givenchy (elle sera notamment portée par Audrey Hepburn en 1966 dans le film How to steal a million de William Wyler), ou rock et déstructurée chez Balenciaga. Plus fine que les autres dentelles et jouant davantage sur la transparence, la Chantilly n'a pas pris une ride et est l'une des dentelles les plus prisées des créateurs de robes de mariée. Pour preuve, dans sa dernière collection, Laure de Sagazan adore décorer ses modèles inspirés des années 30 avec des empiècements en dentelle de Chantilly. Pour sa collection 2018, la célèbre marque de robes de mariée Pronovias associe la Chantilly à des pierres fines, du tulle ou de la guipure. Par ailleurs, la créatrice de robes de mariée Diane Lelys s'amuse à concevoir des robes "princesse" mêlant jeux de transparence en Chantilly et lignes épurées. Enfin, les maisons St. Patrick et Colet proposent pour leurs lignes 2018 respectives, des modèles bohèmes et romantiques aux bustiers intégralement brodés de Chantilly.